Par Anouar QORIA
Depuis son arrestation à Alger le 16 novembre 2024, l’écrivain franco-algérien Boualem Sansal est au centre d’une crise diplomatique qui ne cesse de s’aiguiser. Condamné en appel à cinq ans de prison pour des propos jugés « atteinte à l’intégrité du territoire » algérien, il demeure détenu dans un contexte particulièrement tendu, alors que sa santé — déjà fragile — suscite des inquiétudes.
1- Une arrestation et une condamnation contestées
Selon les informations disponibles, Boualem Sansal est accusé, entre autres chefs, d’avoir tenu des propos provocateurs dans une interview à un média français, évoquant des questions sensibles autour des frontières héritées de la colonisation. Son procès, jugé par ses soutiens comme manquant de transparence et d’équité, alimente les critiques portant sur le respect des droits fondamentaux en Algérie.
L’état de santé de l’écrivain est lourd, âgé d’environ 80 ans et souffrant d’un cancer, il a été hospitalisé et sa famille, ses avocats et plusieurs observateurs dénoncent l’absence ou l’insuffisance de soins adéquats.
2- La réaction de la France… Retailleau monte au créneau
Bruno Retailleau, ministre de l’Intérieur français, s’est fait le porte-voix de cette affaire, la reliant aux tensions plus larges entre Paris et Alger. Il a notamment dénoncé l’arrestation de Sansal comme entachée de « manière injuste », critiquant les conditions dans lesquelles il aurait été privé de soins ou de visites.
Sur le plateau de CNEWS et dans d’autres médias, Retailleau a affirmé que l’escalade diplomatique avec l’Algérie s’explique par le refus de cette dernière de reconnaître ce qu’il qualifie de traitement « arbitraire » infligé à l’écrivain. Selon lui, cette affaire ne relève pas seulement du cas individuel de Sansal, mais touche aux principes de liberté d’expression, de dignité humaine et de respect des engagements internationaux.
Par exemple, Retailleau a déclaré qu’“il faudra faire choix entre la fermeté ou la diplomatie molle” si Alger ne libère pas Sansal. Il a aussi exprimé « bon espoir » que l’Algérie permette son retour en France, et que soient appliqués des accords bilatéraux en matière migratoire et consulaire.
3- Enjeux diplomatiques et droits de l’homme
3-1- L’affaire révèle plusieurs niveaux de tension :
✓ Le droit à la liberté d’expression : Sansal affirme avoir exercé ce droit, mais les autorités algériennes l’accusent d’atteinte à la sûreté de l’État. Le débat porte sur la frontière entre critique, opinion, et ce qui peut être interprété comme subversion.
✓ Les droits des personnes malades en détention : quand la santé est compromise, la loi internationale exige des conditions de détention qui garantissent un accès aux soins. Les proches de Sansal estiment que cela n’est pas le cas.
✓ Diplomatie franco-algérienne : l’affaire de Sansal s’inscrit dans un contexte déjà tendu pour plusieurs raisons (immigration, Sahara occidental, coopération consulaire). Paris utilise à la fois la pression publique (via les médias et les hommes politiques) et les canaux diplomatiques pour exiger ce qu’il appelle un « geste de clémence et d’humanité ».
3-2- Toutefois, cette stratégie de la part de la France n’est pas sans critiques. Certains opposants estiment que Bruno Retailleau (et d’autres membres de la majorité) utilisent cette affaire à des fins politiques internes. Par exemple, le député Manuel Bompard a accusé Retailleau d’instrumentaliser l’affaire pour ses ambitions personnelles.
D’autres mettent en garde contre le risque de polarisation ou d’un durcissement diplomatique sans obtenir de compromis concret. Enfin, certains avocats et ONG jugent que les déclarations publiques, bien qu’essentielles, ne suffisent pas sans suivi judicieux, coopération juridique, et garanties sur le terrain.
L’affaire Boualem Sansal reste un cas emblématique des tensions qui naissent lorsqu’un écrivain critique d’un gouvernement est arrêté, jugé, puis détenu dans des conditions contestées, le tout dans le contexte d’une rivalité diplomatique et politique plus large. Les appels français à la libération ou à l’amélioration concrète de ses conditions de détention gagnent en intensité, tandis que l’Algérie, de son côté, demeure ferme sur ses accusations.
La suite dépendra sans doute de compromis diplomatiques, éventuellement d’une intervention internationale (observateurs, droits de l’homme), et surtout de la capacité de la France à concilier fermeté et respect des procédures légales, tant nationales qu’internationales, pour défendre ses ressortissants — ici un écrivain malade — tout en préservant ses relations avec un partenaire complexe.